vendredi 23 décembre 2011

Le Mensonge



Le mensonge dans l'art, la confession de Picasso.


Les arts, comme la musique, l'architecture, la peinture, sont les modes d'expression de la beauté. Leur valeur tient à la beauté qu'ils expriment. Exprimer la beauté devrait être le but que se propose un artiste. L'art devient un mensonge lorsque, poursuivant une fin intéressée, il présente comme beau ce qui est laid. Nous avons l'exemple d'un art mensonger chez Picasso, qui confessait lui-même, en 1952, à l'écrivain Giovanni Papini."




J'exploite l'imbécillité et la cupidité des gens "

« Dans l'art, le peuple ne cherche plus consolation et exaltation; mais les raffinés, les riches, les oisifs, les distillateurs de quintessence cherchent le nouveau, l'extravagant, le scandaleux.Et moi-même, depuis le cubisme et au-delà, j'ai contenté ces maîtres et ces critiques avec toutes les bizarreries changeantes qui me sont passées par la tête, et moins ils comprenaient et plus ils m'admiraient. À force de m'amuser à tous ces jeux, à toutes ces fariboles, à tous ces casse-tête, rebus et arabesques, je suis devenu célèbre, et très rapidement.Et la célébrité signifie pour un peintre ventes, gains, fortune, richesse. Et aujourd'hui je suis célèbre, je suis riche. Mais quand je suis seul avec moi-même, je n'ai pas le courage de me considérer comme un artiste dans le sens grand et antique du mot.Ce furent de grands peintres que Giotto, le Titien, Rembrandt et Goya: je suis seulement un amuseur public, qui a compris son temps et a épuisé le mieux qu'il a pu l'imbécillité, la vanité, la cupidité de ses contemporains.C'est une amère confession que la mienne, plus douloureuse qu'elle ne peut sembler, mais elle a le mérite d'être sincère. »

Si son art était mensonger, Picasso s'est libéré en quelque sorte du mensonge artistique qui pesait sur sa conscience en reconnaissant avoir abusé de l'imbécillité et de la cupidité des gens.





Le Mensonge en 10 points.

1. Origine du mensonge
2. Sa nature
3. Les formes de mensonges
4. Les espèces de mensonges
5. L'évolution du mensonge
6. Les lieux du mensonge
7. Les dimensions du mensonge
8. Les conséquences du mensonge
9. Les causes du mensonge
10. Les remèdes au mensonge


1. Origine du mensonge


Le mensonge a Satan pour père. C'est Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même qui l'affirme. On ne doit jamais oublier, pour en comprendre la moralité, la paternité satanique du mensonge, où qu'il se trouve et de quelque façon qu'il s'exprime. En tout mensonge formel joue une influence, souvent inconsciente, de l'esprit malin. Le mensonge est donc toujours inspiré, directement ou indirectement, par le démon, ennemi de la vérité, parce qu'il est devenu par sa rébellion orgueilleuse ennemi irréconciliable de Dieu. Ennemi de Dieu, vérité absolue et source de toute vérité, Satan est l'adversaire acharné du Christ-Jésus, qui est le seul homme pouvant dire, en raison de sa personnalité divine : "Je suis la Vérité". (Jean 14, 6)




Dès l'origine, sur tous les fronts Satan lutte contre la vérité; aussi lutte-t-il constamment contre Jésus-Christ et son Église "colonne et fondement de la vérité" (I Tim. 3,5). Il s'efforce, avec l'armée de ses suppôts, d'entraîner toute la race humaine dans l'effroyable prison de ses mensonges. Car dans la mesure où l'homme obéit à la voix trompeuse de Satan et entre ainsi dans ses mensonges, il perd sa liberté spirituelle d'enfant de Dieu et il devient fils spirituel du diable C'est pourquoi Jésus-Christ dit aux pharisiens : "Vous autres, vous avez le diable pour père, et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. Il était homicide dès le commencement, et il ne s'est pas maintenu dans la vérité, parce qu'il n'y a pas de vérité chez lui. Quand il profère le mensonge, il parle de son propre fonds, parce qu'il est menteur et père du mensonge" (Jean 8, 44-47).

Les menteurs sont enfants du diable, commente saint Ambroise, non par la succession de la chair, mais par la succession du crime. En mentant, le diable parle de son propre fonds, en ce sens qu'aucun mensonge ne peut venir de Dieu. Ce n'est pas Dieu qui a appris le mensonge au démon, mais ce mauvais esprit l'a pensé et proféré de lui-même, dit Origène. Qu'en mentant, on se mette sous le pouvoir du démon, saint Césaire l'affirme expressément, lorsqu'il écrit : "Que tout menteur ne puisse être que sous l'influence de l'esprit malin, la sainte Écriture en témoigne par ces sentences : "Tu perdras tous ceux qui disent le mensonge", (Ps 5, 7) et encore: "la bouche qui ment tue son âme" (Sap 1, 11). Saint Jean affirme qu'au ciel "ne pénétrera rien d'impur, ni personne qui pratique l'abomination et le mensonge" (Apoc. 21, 27).


2. Sa nature


En quoi consiste le mensonge? Qu'est-ce que mentir? C'est une question qui devrait nous préoccuper, car la parole de Dieu affirme que "tout homme est menteur" (Ps 116, 11). Tout homme, non encore transformé par la grâce de Jésus-Christ, est imprégné par l'esprit du mensonge; il est sous l'influence du menteur et il a besoin d'en être libéré. Seule la Vierge Marie, par son immaculée conception, en a été totalement préservée.


Libéré de l'esprit du mensonge, lors de son baptême, l'homme nouveau qui en sort devra tout au cours de sa vie lutter pour servir la vérité, pour la défendre et la répandre dans le monde. Il pourra, à certains moments, être circonvenu par l'antique serpent et être victime de ses tromperies secrètes, mais ce ne sera jamais sans une certaine complicité.


Certes, il faut bien distinguer entre l'erreur et le mensonge. Je puis être induit en erreur sans qu'il y ait faute de ma part. Je puis me tromper sur l'appréciation de ce qui est réel, sans aucune mauvaise volonté; ce que j'affirmerai alors sera faux et pourra paraître un mensonge, sans l'être formellement. Le mensonge consiste à affirmer comme vrai ce qu'on sait ou pense être faux. Dans le mensonge, il y a toujours une volonté de nier la vérité connue ou de nier ce qu'on croit être la vérité. Induire les autres en erreur fait partie du mensonge comme conséquence immédiate mais non comme étant son élément essentiel, qui est proprement la volonté de nier la vérité. Mentir, c'est donc parler contre sa pensée, avec l'intention de tromper. Ne pas dire tout ce qu'on pense n'est toutefois pas un mensonge. Car autre chose est de parler contre sa pensée, de manière à induire en erreur, autre chose de ne pas livrer toute sa pensée. Chaque personne a ses secrets intimes qu'il lui appartient de préserver d'inquisitions indiscrètes. Confier à tous sans discernement ses secrets, plutôt que de la franchise, serait de la pure naïveté, sinon de la bêtise.


Le mensonge est toujours synonyme de duplicité, comme l'explique saint Augustin : "Ment celui qui énonce par ses paroles ou toute autre manière de signifier sa pensée autre chose que ce qu'il a dans l'esprit. De là, on dit du menteur qu'il a un coeur double, c'est-à-dire une double pensée : une pensée de la chose qu'il sait ou pense être vraie et ne dit pas; une autre pensée de la chose qu'il exprime en sachant ou pensant qu'elle est fausse. Il s'ensuit qu'on puisse dire une chose fausse sans mentir, si on pense qu'il en est comme on le dit; et de même qu'on puisse dire vrai en mentant, si on pense que ce qu'on énonce comme vrai est faux, bien qu'il en soit dans la réalité comme on l'énonce" (De mendacio). Ce qui signifie que le mensonge réside formellement dans le coeur de l'homme, c'est-à-dire dans la volonté qu'il a de parler contre sa pensée. Certaines paroles fausses en elles-mêmes, dites sans aucune intention de parler contre sa pensée, ne constituent donc pas des mensonges.


3. Les formes de mensonges


Le mensonge peut revêtir bien des formes. Ainsi, on peut mentir en voulant nier absolument la vérité par de fausses allégations ou déclarations, de faux témoignages, de faux serments, de fausses promesses, de fausses accusations ou calomnies. On peut mentir encore en déformant la vérité par mode d'exagération ou de réduction des faits; en falsifiant ou en interprétant d'une façon contraire à la vérité des documents, des analyses, des résultats d'enquête ou encore en les soustrayant à l'examen. On peut mentir aussi en simulant la vérité, c'est-à-dire en faisant paraître comme réelle une chose qui ne l'est pas. L'hypocrisie, qui consiste à affecter une vertu ou un sentiment qu'on n'a pas, a été la forme de mensonge la plus fortement réprouvée par le divin Maître. On peut enfin mentir en voilant, en cachant volontairement une vérité connue, qu'on aurait le devoir grave de manifester. Si ce devoir n'existait pas, il n'y aurait pas mensonge à taire certaines vérités, comme le Christ-Jésus nous en donne lui-même l'exemple, lorsqu'il dit à ses apôtres: "J'aurais encore bien des choses à vous dire, mais vous ne pourriez pas les porter maintenant" (Jean 16, 12).


4. Les espèces de mensonges


D'après leur gravité morale, on reconnaît trois espèces de mensonges: le mensonge pernicieux, le mensonge joyeux et le mensonge officieux. Le mensonge pernicieux est fait dans le but de nuire; il est inspiré par la méchanceté. Le mensonge joyeux est proféré par manière de récréation; il ne poursuit d'autre intention que le plaisir. Le mensonge officieux se propose d'être utile au prochain soit dans ses biens, pour lui éviter un dommage matériel, soit dans son corps pour lui sauver la vie, soit dans sa vertu, pour le préserver d'une faute qui souille et le corps et l'âme.


Saint Basile, saint Ambroise, saint Augustin et plusieurs autres Pères, dont saint Thomas d'Aquin résume la doctrine, enseignent, à la suite d'Aristote, que tout mensonge est un désordre qui fait plus ou moins de mal à l'âme. Le mensonge pernicieux, comportant toujours une intention de nuire, et par suite de la haine envers Dieu et le prochain, est un venin mortel, qui tue la vie de l'âme. Et plus la vérité à laquelle cette espèce de mensonge s'oppose est élevée et universelle, plus grave est la faute de celui qui ment. C'est ainsi que le plus grave de tous les mensonges est celui qui nie ou altère les vérités divines. Dans la mesure où le mensonge blesse la charité envers le prochain, qu'il induit en erreur au plan des vérités humaines, scientifiques ou morales, il est aussi gravement coupable.


Les mensonges joyeux et officieux, où il n'y a aucune intention de nuire au prochain, mais au contraire l'intention de le distraire ou de l'aider, bien qu'ils ne peuvent comporter de faute grave, si ce n'est qu'en raison d'un scandale sérieux qui en naîtrait, ne sont toutefois pas exempts de désordre moral; ils sont donc à éviter. Ils s'opposent en effet à l'ordre naturel qui veut que les mots soient les signes des pensées, de sorte que parler contre sa pensée est toujours un mal. On doit donc se garder de toute espèce de mensonges pour respecter la finalité du language et se trouver en harmonie avec la Parole de Dieu incarnée, qui nous recommande une parfaite simplicité de coeur et une transparence sans faille dans toutes nos paroles, lorsqu'il ordonne: "que votre discours soit oui, oui; non, non. Ce qui est en plus vient du malin" (Matt. 5, 37).


On ne doit donc jamais dire de mensonge, même pour rendre service au prochain ou pour s'amuser, une bonne fin ne pouvant justifier l'usage d'un mauvais moyen. Mais si on ne doit pas dire de mensonge, même avec une intention bienveillante, on peut cependant, par charité, cacher prudemment la vérité. Ce qui signifie nullement la trahir ou la falsifier en affirmant le contraire de ce qu'on pense. Par ailleurs, on ne regarde pas comme des mensonges, affirme saint Augustin, certaines plaisanteries où l'on fait assez connaître, par la manière dont on les exprime, que les choses qu'on énonce extérieurement sont fausses, de sorte que personne, à moins d'être stupide, ne puisse s'y méprendre. Le même principe s'applique aux fictions hyperboliques et aux fables.


Certes, il est des cas tout à fait exceptionnels, où de très graves devoirs de justice et de charité, qui seraient autrement compromis, ont la priorité sur le devoir de dire strictement la vérité. Par exemple : en temps de guerre, s'il s'agit de sauver d'une mort certaine des personnes innocentes, se trouvant condamnées à mort d'une façon absolument injustifiée, ou encore de protéger quelqu'un de la rage d'un fou. Dans ces cas exceptionnels, où seul le bien est voulu et recherché de tous côtés, il ne faudrait plus parler de mensonge, mais selon l'expression du Père Sertilanges, de "vérité de convenance" (in La Philosophie morale de saint Thomas d'Aquin, p. 308).


5. L'évolution du mensonge


S'il s'agit de répondre à la question comment naît le mensonge et en arrive à dominer entièrement la vie d'une personne, un célèbre Père du désert, saint Dorothée, distingue trois étapes dans l'évolution du mensonge : le mensonge dans la pensée, le mensonge dans les paroles, le mensonge envahissant la conduite de la vie. Son approche du mensonge manifeste une fine analyse psychologique et spirituelle, entièrement basée sur l'observation et l'expérience. Bien qu'il s'adresse à des moines en formation, son enseignement vaut pour toutes les catégories de personnes. Voici ce qu'il dit de l'évolution du mensonge.


1) Le mensonge de pensée
"On tombe dans le mensonge par la pensée en formant des soupçons contre son frère. Par exemple, voyant deux frères qui parlent ensemble, je soupçonne qu'ils parlent de moi. Et s'ils s'arrêtent de parler, je soupçonne que ce soit à cause de moi. Et si quelqu'un dit en toute simplicité telle ou telle parole, je soupçonne tout de suite qu'elle est dite contre moi et je m'en attriste. En un mot, dans tout ce que je vois faire ou dire à mes frères, je me mets dans l'esprit que c'est par rapport à moi, et je prétends pénétrer les motifs de leurs paroles et de leurs actions.


"Voilà comment on commet le mensonge par pensée, où rien de véritable n'est dit, car tout ce qu'on dit n'est fondé que sur des soupçons, qui produisent ces vues curieuses que nous avons sur les actions des autres, ces médisances, ces murmures, ces contestations, cette liberté que nous prenons de juger et de condamner les autres.


"Certes, il peut arriver quelquefois que nos soupçons se trouvent véritables. Mais il est si pernicieux de s'y laisser aller que, pour peu qu'on s'y arrête, ces soupçons nous persuadent que nous voyons avec évidence des choses qui ne sont point et qui n'ont jamais été".


Ce passage de saint Dorothée concernant le mensonge de pensée est du plus haut intérêt. Le mensonge apparaît comme une mauvaise graine, semée par le malin dans la pensée, et qui y produit de fausses certitudes avant d'éclater à l'extérieur en faux jugements, en fausses accusations et en condamnations injustes. On pourrait objecter que les soupçons, terrain intérieur propice au mensonge, se rattachent plutôt à des erreurs de perception. Mais si l'on fait bien attention que tout soupçon est une sorte de doute, le mensonge intérieur réside dans le fait que la pensée passe, sans justification, du doute à une certitude intérieure. Elle se ment en tenant comme certain ce qu'elle sait être douteux. La parole intérieure est mensongère lorsqu'elle affirme comme étant une réalité le message douteux d'un pur soupçon. De combien de mensonges extérieurs, pouvant déterminer la décision impitoyable d'une guerre désastreuse, sont responsables de purs soupçons !


2) Le mensonge de parole
"Quant au mensonge que l'on commet par la parole, continue saint Dorothée, en voici un exemple. Un frère est paresseux ou ne veut point se lever pour aller à l'office de la nuit, et au lieu d'avouer qu'il a manqué et de dire : Pardonnez-moi, Père, la paresse m'a empêché de me lever, il dit : J'ai eu de la fièvre. J'ai eu le vertige, je n'ai pu en aucune façon me lever; j'étais faible, j'étais malade. Il dit dix mensonges pour s'excuser, au lieu de dire une seule parole vraie pour confesser humblement sa faute. Que si on le reprend, il s'entortille dans ses expressions, pour éviter le reproche qu'on veut lui faire. S'il a eu quelque question à démêler avec un autre frère, il ne se lasse point dit, c'est un autre ; ce n'est pas cela qu'on a dit, c'est une autre chose, etc. Il ne parle ainsi que pour éviter d'être humilié. De même s'il désire quelque chose, il use de détours pour l'obtenir. Il feint des besoins et ne cesse de faire des mensonges jusqu'à ce qu'il ait obtenu ce qu'il souhaite.


"Un homme qui en use ainsi n'est digne d'aucune créance. S'il lui arrive par hasard qu'il dise vrai, on ne peut pas s'y arrêter, parce que la vérité ne sort jamais de sa bouche qu'elle ne soit accompagnée d'obscurités et d'équivoques".


Ce que saint Dorothée dit du mensonge de parole montre qu'un simple mensonge, n'ayant pas de fondement dans la réalité, a besoin de se justifier par d'autres mensonges, de sorte que la parole extérieure mensongère n'est jamais l'enfant unique d'une pensée mensongère. La pensée mensongère donne habituellement naissance à plusieurs mensonges, qui finissent par jeter l'âme dans un fouillis inextricable. Quel malheur pour la pauvre âme prise au piège de ses mensonges et qui en devient emmurée. Elle ne peut que s'enfoncer dans cette obscure prison tant qu'elle s'ingéniera à nier la vérité.


3) Le mensonge dans la conduite de sa vie
"Enfin, on ment par la conduite de sa vie, lorsqu'on feint d'aimer une vertu qu'on n'a point, et qu'on a plutôt l'habitude du vice contraire. Par exemple, lorsqu'étant avare, on loue la compassion et la vertu de l'aumône ; ou lorsqu'étant superbe, on admire l'humilité ; ou quand on témoigne de l'admiration pour quelque vertu, sans l'estimer par le sentiment de son coeur. Car on agit ainsi, non pas pour éviter le scandale que l'on causerait en parlant autrement, mais afin de paraître n'avoir pas un vice qu'on a, et avoir une vertu qu'on n'a pas. Car si en louant une vertu dont on est dépourvu, on voulait parler sincèrement, on commencerait par s'humilier en avouant qu'on est privé de cette vertu, en confessant qu'on a le malheur d'être infecté du vice qui lui est opposé, mais on ne parle de la vertu, on ne la loue, on n'en emprunte le nom que pour couvrir mieux son défaut et sa honte, et souvent aussi pour tromper les autres.


"Voilà celui qui ment par toute la conduite de sa vie. C'est un homme qui n'a point de simplicité, qui est double, qui est opposé à lui-même dans ses actions et dans le sentiment de son coeur. Sa vie n'est qu'une comédie digne de honte et de mépris", affirme saint Dorothée.


Le mensonge dans la pensée, se développant en mensonge dans les paroles, envahit finalement tout le comportement qui devient comme un grand mensonge. On se montre alors autre qu'on est vraiment, parce qu'on ne s'aime pas et qu'on désire être aimé. On projette alors une image de soi toute différente de ce qu'on est en réalité. On vit dans le mensonge, c'est-à-dire dans la belle image qu'on s'est fabriquée pour couvrir la difformité de son âme. Cette image sans consistance est extrêmement fragile et facilement ternie. Aussi longtemps qu'on s'emploie à la refaire, on s'enfonce dans le mensonge jusqu'au moment où il n'est plus possible de la refaire. Car vient un temps où l'orgeuilleuse proclamation de sa propre innocence est honteusement démentie par les faits. C'est alors l'heure de la grâce où l'âme est fortement invitée à sortir de son mensonge et à rencontrer la Vérité, c'est-à-dire à s'y soumettre pleinement pour goûter la joie de la liberté.


6. Les lieux du mensonge


Le mensonge a libre cours dans tous les domaines, du plus profane au plus sacré. On peut mentir au nom de la religion, au nom de la philosophie, au nom de la science, au nom du droit, au nom de la politique, au nom de l'économie, au nom de quelque compétence professionnelle, et dans le cadre de quelque activité que ce soit. Il y a donc des mensonges, religieux, des mensonges philosophiques, des mensonges scientifiques, des mensonges juridiques, des mensonges politiques, des mensonges socio-économiques et des mensonges qui entachent les plus simples relations inter-personnelles.


Les mensonges dans le domaine religieux, comme nous l'avons déjà dit, sont les plus graves, parce qu'ils s'opposent à la vérité divine. On blasphème alors contre Dieu, ou bien on falsifie sa Parole en la soumettant à des vues et à des ambitions humaines. Le mensonge est l'outil indispensable des détracteurs de la religion, des ennemis ou assassins de la foi. En philosophie et dans les sciences, il est possible de mentir en enseignant des principes qu'on sait être faux et de fausses théories, comme celle, tout à fait ridicule, qui veut que l'homme descende du singe. Origine ténébreuse qu'on reporte à une période préhistorique, spécifiée par l'impossibilité absolue d'établir quelque preuve scientifique que ce soit. Le mensonge consiste alors à poser en thèse scientifique ce qui n'est que pure hypothèse fondée dans l'imagination.


Lorsque la science du droit refuse de se baser sur la loi naturelle et ne veut s'appuyer que sur les faits actuels de la société, elle ne peut être que source de mensonges et donner naissance à de faux droits, comme le droit présumé à l'avortement, le droit présumé au mariage homosexuel, le droit présumé de contrôler les naissances par n'importe quel moyen, etc. La politique, telle qu'elle s'exerce depuis Machiavel, semble être un lieu privilégié de mensonges ; quels mensonges n'est-on pas prêt à commettre pour prendre le pouvoir, le conserver et l'étendre! Il est également bien tentant, lorsqu'on poursuit des avantages personnels, de se servir de ses connaissances et habiletés professionnelles pour mentir.


Le domaine le plus exposé au mensonge semble être le domaine de la gestion des biens économiques et toutes les transactions d'affaires, en raison de la cupidité qui soumet beaucoup de personnes et de compagnies au pouvoir séducteur de l'argent. Enfin, dans tous les domaines de l'activité humaine se rencontrent, en plus de ceux qui mentent occasionnellement, des spécialistes dans "l'art" de mentir, de manipuler, de frauder.


7. Les dimensions du mensonge


À qui peut-on mentir? On ment habituellement d'abord à autrui; on ment ensuite à Dieu; puis on se ment à soi-même. Le mensonge a donc une dimension sociale, une dimension divine, et une dimension intérieure.


A) Sa dimension sociale
La vérité ou véracité est essentiellement une vertu sociale, à laquelle s'oppose le mensonge. Par le mensonge, le prochain est offensé dans ses droits à la vérité, à la justice et à la charité. Par le mensonge se trouvent ébranlés les fondements moraux de toute vie sociale. À partir du mensonge, comment peut-on construire une société dans la justice, l'amour et la paix? La vérité demeurera toujours le premier fondement sur lequel doit se construire la paix. Tandis que le mensonge qui protège et nourrit l'injustice ne peut qu'engendrer et perpétuer la guerre.


B) Sa dimension divine
Par le mensonge, Dieu est offensé dans l'amour et la fidélité qu'on lui doit. Les mensonges faits au prochain offensent en même temps Dieu, dont nous sommes les enfants; ils offensent particulièrement le Christ-Jésus, dont nous sommes ou devons être les membres vivants. Un menteur ne peut avoir qu'une religion hypocrite, une vie religieuse qui est en fait une comédie. Les coeurs doubles, même s'ils en donnent l'impression, ne peuvent être réellement amis de Dieu, car il est écrit: "Dieu déteste les coeurs doubles" (Prov. VIII, 13)


Si l'honnêteté, la rectitude morale, la simplicité dans les paroles sont exigées dans les relations humaines, à plus forte raison dans nos relations avec Dieu. Le commandement de Dieu: "Tu ne mentiras pas" n'a pas seulement pour but d'établir la vie sociale sur ces bases de la paix que sont la vérité, la justice, la confiance mutuelle et la charité, mais aussi d'assurer les conditions de relations avec Dieu qui soient sincères, foncièrement droites et par suite qui lui soient agréables. Dans cette perspective, mentir aux chefs de l'Église, c'est mentir à Dieu. Aussi saint Pierre reproche-t-il à Ananie : "Ce n'est pas aux hommes que tu as menti, c'est à Dieu" (Act. 5,5)


C) Sa dimension intérieure
Le mensonge extérieur suppose toujours un mensonge intérieur que l'esprit se dit à lui-même. Le mensonge intérieur est favorisé par tous les sentiments négatifs qui mettent l'esprit dans une disposition contraire à la vérité. La méfiance vis-à-vis des personnes, le soupçon, le doute systématique, les préjugés, les pressions de toutes sortes portent l'esprit à se mentir à lui-même. Mais, par-dessus tout les attachements désordonnés de la volonté, comme les intérêts égoïstes et les désirs de puissance.


L'esprit qui a des dispositions négatives concernant tel ou tel objet, telle ou telle personne, se convainct facilement qu'il en est dans la réalité selon ses dispositions. Chacun voit avec son propre regard. Si le regard n'est pas lumineux, s'il n'est pas simple, s'il est double, s'il est opaque, c'est-à-dire embarrassé par des images intérieures négatives, il sera impossible de voir les choses ou les personnes telles qu'elles sont. Les images intérieures négatives cherchent constamment à se justifier, et ce besoin de justification de ses mauvaises dispositions intérieures peut aller jusqu'à altérer la perception de la réalité, et à imaginer des choses, des actions ou des situations qui ne sont pas. Par exemple, parce que j'ai de très forts doutes vis-à-vis de telle personne, il me semble que je l'ai vue faire telle action. Mon esprit, dans sa dispositions négative, se mentant à lui-même peut passer insensiblement de "il me semble" à "j'en ai la certitude"



Le mensonge intérieur qui naît d'attachements désordonnés, comme dans les dépendances affectives ou les dépendances à des substances nocives, est une conséquence d'un refus de la volonté d'agir selon les exigences de la raison, plus ou moins clairement perçues. Si j'admets avoir cette dépendance, source de désordres déplorables, la raison ne peut me faire aussitôt que l'obligation de m'en libérer. Comme je veux, en fait, conserver cette dépendance, je me dis intérieurement que je ne l'ai pas, que ma façon d'agir répond à un besoin naturel et je trouve mille raisons pour justifier mon comportement. Je nie ce qu'il en est réellement et cette négation de la vérité par mode de déni, c'est-à-dire de refus de la reconnaître est proprement un mensonge, qui fausse la conscience.

Aucun vice ne pourrait se développer en nous, s'il n'était ainsi nourri par le mensonge qu'on se dit intérieurement. On ne veut pas reconnaître le vice qu'on a, parce qu'on ne veut pas changer, parce qu'on ne veut pas s'en défaire. Par le mensonge du déni, qui nourrit le vice en nous, on fait beaucoup de mal à son âme; on blesse son âme plus que par le vice lui-même. Reconnaissons humblement notre mal et il est déjà à moitié guéri parce que la conscience faussée par le mensonge reçoit alors la lumière de la vérité, qui l'engage à prendre le chemin de la liberté.